Pholcodine exposure increases the risk of perioperative anaphylaxis to neuromuscular blocking agents: the ALPHO case-control study. Mertes PM, Petitpain N, Tacquard C, Delpuech M, Baumann C, Malinovsky JM, Longrois D, Gouel-Cheron A, Le Quang D, Demoly P, Guéant JL, Gillet P; ALPHO Study Group. Br J Anaesth. 2023 Mar 24; S0007-0912(23)00104-6. doi: 10.1016/j.bja.2023.02.026. PMID: 36967281. Open access
Contexte : Les curares représentent l’une des principales causes d’anaphylaxie peropératoire, principalement par un mécanisme IgE-dépendant. Les groupements ammonium quaternaire (QA) sont considérés les principaux allergènes reconnus par les IgE spécifiques (sIgE). Classiquement, on considère qu’une exposition préalable aux curares est nécessaire pour induire une sensibilisation, mais de nombreux sujets n’ayant aucune exposition antérieure identifiée, ceci a conduit à l’hypothèse d’une sensibilisation induite par une exposition environnementale à d’autres composés contenant un groupement QA. Entre 2005 et 2011, Florvaag et Johansson n’ont cessé de renforcer le rôle possible de la pholcodine, un opioïde antitussif contenant un groupe ammonium, comme facteur de risque important de sensibilisation aux curares. Le retrait des médicaments contenant de la pholcodine du marché norvégien en mars 2007 a d’ailleurs été suivi, au cours des deux années suivantes dans la population générale, d’une diminution de la prévalence des sIgE reconnaissant la pholcodine et le suxaméthonium. En 2011, l’EMA a ouvert une procédure arbitrage de réévaluation du rapport bénéfice/risque de la pholcodine, alors conclue par le maintien de la pholcodine sur le marché européen, mais avec une demande d’étude cas-témoins pour explorer le risque d’anaphylaxie liée aux curares après exposition à la pholcodine.
L’étude ALPHO, promue par le CHRU de Nancy et impliquant fortement les allergo-anesthésistes du Groupe d’Etude des réactions Anaphylactiques Peropératoires (GERAP), est une étude cas-témoins multicentrique française, conçue pour étudier la relation entre l’exposition à la pholcodine pendant l’année précédant une anesthésie générale incluant une injection de curare et l’apparition d’une anaphylaxie liée à ce curare. Ses objectifs secondaires portaient sur la valeur diagnostique des sIgEs anti QA et pholcodine pour la prédiction de l’anaphylaxie péri-opératoire. Les cas (patients avec une anaphylaxie au curare confirmée par des tests cutanés (prick-tests (PT) et intradermiques (IDT)) conformément aux recommandations françaises et de l’EAACI) étaient appariés à deux témoins (patients ayant subi une anesthésie générale avec injection de curare, sans aucune réaction peropératoire). Les critères d’appariement étaient l’âge, le sexe, le type de curare, la zone géographique et la saison. L’exposition à la pholcodine était évaluée par un autoquestionnaire et l’historique médicamenteux auprès des pharmacies. Les valeurs diagnostiques sIgE anti-pholcodine et anti-QA étaient également évaluées, après mesure par deux techniques.
Résultats : Entre le 21 juillet 2014 et le 20 juillet 2020, sur un total de 937 patients inclus, 167 cas confirmés d’anaphylaxie au curare ont été appariés à 334 témoins. L’autoquestionnaire était rempli par 163 (98 %) des cas et 333 (99 %) des témoins et les historiques médicamenteux étaient disponibles pour 121 (72 %) des cas et 172 (51 %) des témoins. Au total, 79 (47 %) des cas et 67 (20 %) des témoins ont signalé l’utilisation de pholcodine dans l’année précédant l’anesthésie index (p<0,001). Ainsi, l’anaphylaxie liée au curare était significativement associée à la consommation de pholcodine (OR =4,2 ; IC95% 2,3-7,0), ainsi qu’à l’exposition professionnelle aux QA (OR = 6,1 ; IC95% 2,7-13,6), ce qui suggère qu’en dehors de la pholcodine, d’autres facteurs environnementaux peuvent également entraîner une sensibilisation aux curares. Les sIgE anti-pholcodine et anti-QA avaient une valeur prédictive négative élevée (99,9 %) mais une valeur prédictive positive très faible (< 3 %) pour identifier les réactions anaphylactiques liées aux curares.
Conclusion : L’étude ALPHO confirme ainsi une association significative entre la consommation de pholcodine dans l’année précédente et la survenue d’une anaphylaxie liée à un curare. D’autres facteurs environnementaux, y compris l’exposition professionnelle aux QA, devraient également être pris en compte dans ce risque d’anaphylaxie, mais ils restent actuellement mal définis, alors que la pholcodine apparait comme un facteur de risque bien identifié. Ces résultats ont été pris en compte dans la réévaluation du rapport bénéfice/risque des spécialités contenant de la pholcodine et ont contribué, en décembre 2022, à la recommandation de l’EMA de retirer ces médicaments de l’ensemble du marché européen. Les dosages des sIgE anti-QA et anti-pholcodine ayant une faible valeur prédictive positive, leur dosage ne peut laisser envisager une évaluation a priori de l’augmentation du risque d’anaphylaxie, après consommation de pholcodine, sans une étude complémentaire ciblée sur cet objectif.