Article extrait du bulletin VIGINEWS n°3 de 2018 des CRPV d’Angers et de Nantes
La clozapine est actuellement le seul antipsychotique atypique ayant reçu l’indication dans le traitement des patients atteints de schizophrénie résistante ou présentant une intolérance aux autres traitements antipsychotiques. Le principal facteur limitant son utilisation est le risque d’agranulocytose potentiellement mortelle, conduisant à la mise en place d’une surveillance hématologique rapprochée. Des notifications de neutropénies associées à la prise de clozapine sont régulièrement transmises aux CRPV et les demandes de renseignement concernant la conduite à tenir (rythme de la surveillance, réintroduction,…) sont fréquentes. A travers un cas clinique, nous vous proposons une mise au point selon les données récentes de la littérature.
CAS CLINIQUE
Patiente de 41 ans traitée successivement par risperidone et halopéridol, sans succès pour une schizophrénie. Pas d’autre antécédent et pas d’autre traitement • Devant un bilan hématologique normal (leucocytes à 8280/mm3 et neutrophiles à 4132/ mm3), instauration d’un traitement par clozapine augmenté progressivement à 350 mg/j. • A J50 (la clozapinémie n’a pas été explorée), neutropénie sévère (80/mm3) compliquée d’une pyélonéphrite • Arrêt de la clozapine devant l’agranulocytose • Normalisation rapide (15 jours) du bilan hématologique.
DISCUSSION
L’incidence des neutropénies sous clozapine a été souvent discutée dans la littérature et une méta-analyse publiée cette année permet de l’estimer à 3,8% (IC95 : 2,7-5,2) avec 0,9% de neutropénies sévères (IC95 : 0,7-1,1) et 0,013% de décès (IC95 : 0,01-0,017)1. L’âge et certaines interactions médicamenteuses, comme les myélosuppresseurs, constituent des facteurs de risque2.
La survenue de la neutropénie est observée généralement au cours de la première année suivant l’instauration du traitement par la clozapine. Dans leur étude, Myles et al. montrent un pic de survenue des neutropénies au cours du premier mois de traitement (4,2 cas pour 100 personne-année) et le risque devient négligeable après un an (0,4 cas pour 100 personne-année). Les neutropénies sont généralement réversibles à l’arrêt du traitement. Le mécanisme d’induction de la neutropénie par clozapine reste encore inconnu mais il est indépendant de la dose et implique une prédisposition génétique. Actuellement, il semble exister un consensus sur le rôle d’un métabolite chimiquement réactif résultant du métabolisme oxydatif de la clozapine, l’ion nitrenium. Cet ion se lierait aux groupes sulfhydryles des protéines dans les membranes cellulaires, notamment des neutrophiles, qui seraient ainsi détruits par une réponse immunitaire de l’organisme. Un mécanisme toxique indirect par création du stress oxydatif reste une hypothèse plausible.
Surveillance hématologique durant le traitement
Le bilan initial autorisant la prescription de clozapine doit comprendre une formule leucocytaire normale (nombre de globules blancs ≥ 3500/mm3 et un nombre absolu de polynucléaires neutrophiles ≥ 2000/mm3). En France, la réalisation d’une numération formule sanguine (NFS) est obligatoire une fois par semaine pendant les 18 premières semaines de traitement et, ensuite, au moins toutes les 4 semaines durant toute la durée du traitement et pendant les 4 semaines qui suivent l’arrêt complet du traitement. Les recommandations diffèrent selon les pays et sont parfois moins strictes comme aux Pays-Bas ou en Allemagne, avec la possibilité d’une surveillance trimestrielle après la première année3. Aux Etats-Unis, les recommandations ont été revues en 2015 et la surveillance de la NFS doit être réalisée toutes les semaines pendant 6 mois, puis tous les 15 jours pendant les 6 mois suivants et enfin tous les mois après la première année de traitement et ce durant toute la durée du traitement. Les données concernant le délai de survenue des neutropénies posent la question de l’intérêt d’une surveillance hématologique au long cours. Une étude médico-économique réalisée en 2014, a montré que, par rapport à l’absence de surveillance, les stratégies de surveillance hématologique chez les patients adultes prenant de la clozapine ne sont pas coût-efficace à un horizon de trois ans. Une autre perspective pour la surveillance des patients sous clozapine réside dans l’utilisation d’un test pharmacogénomique. En 2014, il a été mis en évidence deux loci du complexe majeur d’histocompatibilité, HLA-DQB1 (126Q) et HLA-B (158T), indépendamment associés à la survenue d’agranulocytose induite par la clozapine. Cette stratégie guidée par la pharmacogénétique pourrait être coût-efficace et permettrait l’assouplissement de la surveillance hématologique à long terme chez les patients à faible risque prenant de la clozapine.
Conduite à tenir
En cas de baisse des globules blancs (< 3000/mm3) ou des neutrophiles (< 1500/mm3), l’arrêt immédiat de la clozapine est impératif et ce quel que soit le moment de survenue durant le traitement. Le RCP stipule également que les patients pour lesquels la clozapine a été arrêtée à cause d’une baisse des globules blancs ou des neutrophiles ne doivent pas être réexposés. Les recommandations américaines différent sur ce point et en cas de neutropénie légère (1000 à 1499/mm3), le traitement peut être poursuivi en intensifiant la surveillance hématologique (3 fois par semaine jusqu’à normalisation). Cependant, le risque de reprise du traitement après cette complication iatrogène n’a jamais été évalué dans des études contrôlées et le nombre de cas de réintroduction rapportés dans la littérature est de plus en plus important. Manu et al. ont analysé 220 cas pour lesquels la clozapine a été réintroduite après la survenue d’une neutropénie (n=203) ou d’une agranulocytose (n=17)8. Ils concluent que la réintroduction de clozapine est une option clinique raisonnable après un retour à la valeur initiale du bilan hématologique chez les patients ayant développé une neutropénie (évolution favorable dans 63% des cas) mais pas après une agranulocytose (évolution favorable dans 17,7% des cas). Les stratégies de réintroduction étaient variables avec la réintroduction simple, l’utilisation de facteurs de croissance leucocytaire ou encore l’administration de lithium, qui augmenterait le taux de leucocytes sanguin via une stimulation du G-CSF. Cependant, ces données restent insuffisantes pour établir des recommandations de haut grade.
- POINTS CLEFS
• La plupart des patients développent des neutropénies légères sous clozapine et les cas de décès sont très rares
• La grande majorité des cas de neutropénie surviennent durant la première année de traitement
• Il n’existe actuellement aucune recommandation officielle quant à la possibilité de réintroduction de la clozapine après un épisode de neutropénie, mais de nombreux cas cliniques sont retrouvés dans la littérature indiquant un réel intérêt dans la pratique. La question de la réintroduction doit se discuter au cas par cas.