Le dernier rapport de Pharmacovigilance sur les infections bactériennes graves à streptocoque déclarées avec les AINS, réalisé par le CRPV de Tours et le CRPV de Marseille a été présenté à l’ANSM en 2024 (CR mis en ligne) (1). Cette actualisation avait été demandée en 2023, suite à 4 cas pédiatriques particulièrement graves d’infections à streptocoque A avec prise d’ibuprofène dans les 48h précédentes. Ce rapport montre notamment que les infections bactériennes sévères représentent une part très importante des effets indésirables graves déclarés avec l’ibuprofène (21%). En effet en 4,5 ans, 21 % des effets indésirables graves déclarés avec l’ibuprofène (pris pour la fièvre ou la douleur) ont concerné une infection ou une aggravation d’infection bactérienne (8 % pour le kétoprofène). Lorsque le germe est identifié, les infections streptococciques sont majoritaires et représentent 62 % des cas d’infection bactérienne pour l’ibuprofène (44 % pour le kétoprofène).
Plusieurs données sont en faveur de l’effet des AINS sur la dissémination spécifique des streptococcoques. Des études de pharmacoépidémiologie ont été menées en France et à l’international, en particulier pour 3 sites d’infection : la pneumopathie, les infections cutanées et les sepsis, et toutes concluent au rôle aggravant des AINS lors qu’ils sont pris pour fièvre ou douleur aiguë en présence d’une infection streptococcique (diagnostiquée ou latente). Par ailleurs, des données expérimentales in vitro soulignent le risque intrinsèque lié à un effet propre des AINS sur l’amplification de la diffusion des streptocoques notamment via la vimentine. Enfin, les données animales montrent également que l’administration d’ibuprofène augmente la sévérité des infections cutanées nécrosantes à streptocoque pyogenes, diminue ou retarde l’efficacité de l’antibiothérapie associée, et augmente le taux de mortalité des souris traitées.
Ainsi, les données expérimentales sont en faveur d’un effet propre des AINS qui, en présence d’une infection streptococcique, augmenteraient la gravité de l’infections en facilitant sa diffusion. Or les cas graves récents et les études de pharmaco-épidémiologie confirment que lors de la prescription d’un antibiotique, l’association à un AINS pour prendre en charge la fièvre ou la douleur aiguë est une pratique fréquente alors que, même pour une durée courte, elle majore le risque d’évolution vers une infection streptococcique plus grave et qu’il ne s’agit pas tant d’un risque de masquage de l’infection par l’AINS, mais d’un risque lié à l’effet propre de ces AINS favorisant la dissémination du streptocoque.
La délivrance ou la prescription d’ibuprofène, de kétoprofène et de fénoprofène pour la fièvre et/ou la douleur aiguë non rhumatologique en présence d’une infection streptococcique confirmée (angine, pneumopathie,….) ou simplement suspectée est donc une pratique particulièrement à risque, même sur une courte durée, et même lorsqu’ils sont associés à un antibiotique.
Références
ANSM. Comité scientifique permanent de surveillance et pharmacovigilance. Formation restreinte expertise, Séance du 30 janvier 2024. CRPV de Tours & CRPV de Marseille. Enquête relative aux infections bactériennes graves à streptocoque rapportées avec l’ibuprofène, le kétoprofène ou le fénoprofènehttps://ansm.sante.fr/evenements/comite-scientifique-permanent-pharmaco-surveillance-et-bon-usage-formation-restreinte-expertise-et-bon-usage-2 (mise en ligne 30 avril 2024)
ANSM – Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et complications infectieuses graves. https://ansm.sante.fr/actualites/anti-inflammatoires-non-steroidiens-ains-et-complications-infectieuses-graves#:~:text=L’ANSM%20rappelle%20que%20les,%C3%AAtre%20%C3%A9vit%C3%A9s%20dans%20ce%20cas.