Article extrait de la lettre d’information de Bretagne rédigée par les CRPV de Rennes et de Brest (N°1-2019)
Quelques rappels
Le 5-Fluorouracile (5-FU) et sa prodrogue la capécitabine sont des fluoropyrimidines, très largement prescrites dans les cancers digestifs, les cancers du sein et les cancers ORL. Le nombre de patients traités en France par une fluoropyrimidine est estimé à environ 80 000 par an [1]. Les fluoropyrimidines induisent des toxicités sévères (grade 3-4) chez environ 10 à 40% des patients, et létales chez environ 0,2 à 0,8% des patients [1].
Certaines toxicités (digestives et hématologiques) sévères et précoces sont associées à un déficit d’activité en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD), enzyme limitante du métabolisme d’inactivation de ces médicaments. La prévalence du déficit partiel en DPD est estimée entre 3 et 15%, et celle du déficit complet entre 0,1 et 0,5% [1]. La recherche du déficit en DPD peut être réalisée par génotypage (recherche des principaux polymorphismes fonctionnels du gène DPYD) ou par phénotypage (mesure directe ou indirecte de l’activité enzymatique). Jusqu’à présent, il n’existait pas de consensus national ou international sur les modalités de dépistage du déficit en DPD [1].
Le suivi national de pharmacovigilance des spécialités de 5-FU et de capécitabine, et notamment le dernier point présenté au Comité Technique de Pharmacovigilance en février 2019, montre que le diagnostic de déficit en DPD est très majoritairement fait a posteriori (dans 80% des cas analysés dans le dernier rapport) et que la recherche du déficit est préférentiellement réalisée à visée explicative lors d’un décès [2].
Prises de position de l’ANSM, de la Haute Autorité de Santé (HAS) et de l’Institut National du Cancer (INCA)
En février 2018, l’ANSM a préconisé la recherche d’un déficit en DPD chez tout patient concerné par une chimiothérapie intégrant des fluoropyrimidines [3]. Pour détecter en pratique ce déficit, l’INCa et la HAS recommandent aujourd’hui la réalisation d’un examen de phénotypage avant toute mise sous traitement : la mesure de l’uracilémie. Ce choix s’est fait de manière pragmatique avec pour objectifs prioritaires i) d’identifier avant tout les patients ayant un déficit complet en DPD, afin de prévenir, a minima et autant que possible, les toxicités les plus graves, en particulier celles pouvant entraîner un décès ii) et d’éviter les « faux positifs » chez qui une contre-indication aux fluoropyrimidines serait une perte de chance [4].
En pratique: mesure de l’uracilémie
Le dépistage du déficit en DPD par phénotypage était réalisé en routine par 8 laboratoires hospitaliers en France en 2018 [1], mais ce nombre est en augmentation en 2019. Historiquement dans l’Ouest, l’institut de Cancérologie de l’Ouest Paul Papin à Angers (laboratoire de pharmacologie) était le site de référence [1]. Le dépistage est aussi réalisé par les laboratoires privés Biomnis et Cerba. Le laboratoire de pharmacologie biologique du CHU de Rennes mettra à disposition le dépistage au 2ème trimestre 2019. Pour la réalisation pratique de cet examen, sont préconisés :
- Des conditions strictes de circuit du prélèvement sanguin, impératives pour la fiabilité des résultats, comme indiqué dans les recommandations de l’HAS/INCa :
- Respect des conditions pré-analytiques indispensables (=du prélèvement du tube à sa prise en charge par le laboratoire). En effet, métabolisme ex-vivo de l’uracile dans le tube de prélèvement → risque de surestimation du résultat (Faux positif).
- Recommandations
- Tube hépariné ou EDTA SANS gel séparateur.
- A centrifuger (à 4°C) et à congeler aussi vite que possible après le prélèvement.
- Délai maximum = 1h30 si acheminé à T°Ambiante/ 4h si acheminé à 4°C.
- Traçabilité indispensable :
- Noter l’heure précise de centrifugation et de congélation sur le bon de demande.
- Si non-respect : nonconformité, prévenir le service clinique sans délai pour nouveau prélèvement.
- Conservation du plasma congelé à -20°C (transport à -20°C si sous-traitance de l’analyse).
- Des valeurs seuils pour l’interprétation de ces résultats [4] :
- En cas d’uracilémie ≥ 150 ng/mL, évocatrice d’un déficit complet en DPD, le traitement par fluoropyrimidine est alors contre-indiqué compte tenu du risque de toxicité très sévère. En cas d’absence d’alternative thérapeutique, le recours aux fluoropyrimidines ne peut être envisagé qu’à dose extrêmement réduite et sous surveillance très étroite. Dans ce cas, un suivi thérapeutique pharmacologique (STP) est fortement recommandé.
- En cas d’uracilémie comprise entre 16 ng/mL et 150 ng/mL, évocatrice d’un déficit partiel en DPD, la posologie initiale doit être adaptée en fonction du niveau de l’uracilémie, du protocole de chimiothérapie et des critères physiopathologiques du patient, sur la base d’une discussion clinicobiologique. Un réajustement thérapeutique doit être envisagé dès le 2ème cycle de chimiothérapie en fonction de la tolérance au traitement et/ou du STP s’il est disponible.
- Un délai de rendu de résultats, de la prescription du test à la réception du résultat par le clinicien, idéalement de sept jours, au maximum de dix jours. Au-delà, l’initiation retardée du traitement pourrait être préjudiciable pour le patient [4].
La HAS, qui a la mission de donner un avis à l’Assurance Maladie sur le remboursement des actes médicaux, s’est prononcée en faveur de l’inscription au remboursement de la mesure de l’uracilémie [4].
L’INCa et la HAS rappellent que la détection des déficits en DPD ne pourra prévenir qu’une partie des toxicités sévères ou létales des chimiothérapies puisque toutes celles liées aux fluoropyrimidines n’ont pas pour origine un déficit en DPD. Par ailleurs, les autres anticancéreux pouvant être utilisés en combinaison avec les fluoropyrimidines entraînent également des toxicités. Cependant, il n’est pas éthique de ne pas réaliser le dépistage du déficit chez tous les patients devant recevoir une fluoropyrimidine, ce dépistage permettant d’éviter un certain nombre de complications et de décès.
En complément du dépistage pré-thérapeutique du déficit en DPD, il est possible de réaliser le suivi thérapeutique pharmacologique du 5FU (dosage plasmatique du 5-FU) dès le premier cycle de traitement (pour les protocoles de chimiothérapies des cancers digestifs et ORL). Ce dosage du 5FU permet d’adapter la posologie de l’anticancéreux au cycle suivant si la concentration mesurée au cycle 1 n’est pas dans la zone thérapeutique recommandée. Le niveau de preuve scientifique est suffisant pour une «recommandation forte » du STP par les sociétés savantes de pharmacologie clinique [5-6] : i) en cas de déficit partiel en DPD car il n’existe pas d’abaques standardisés d’adaptation de posologie basée sur l’uracilémie, ii) en cas d’absence de déficit en DPD car > 50% patients seraient «sous dosés » (dans les études cliniques [5]), iii) en cas de déficit complet si aucune alternative au 5-FU n’est envisageable.
Références
[1] Loriot MA et al. Dépistage du déficit en dihydropyrimidinedéshydrogénase (DPD) et sécurisation des chimiothérapies à base de fluoropyrimidines : mise au point et recommandations nationales du GPCO-Unicancer et du RNPGx. Bull Cancer 2018; 105: 397–407.
[2] Compte-rendu du Comité Technique de Pharmacovigilance. 18.03.2013. ANSM.
[3] https://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-dinformation/Prevention-des-effets- indesirables-graves-lies-a-un-deficit-endihydropyrimidine-deshydrogenase-DPD-lors-de-traitement-par-fluoropyrimidines-5-fluorouracile-et-capecitabine-Point-d-information-actualise-au-28-fevrier-2018.
[4] https://www.e-cancer.fr/Presse/Dossiers-et-communiques-de-presse/Desrecommandations-pour-prevenir-certaines-toxicites-severes-des-chimiotherapiespar-fluoropyrimidines
[5] Beumer JH et al. Therapeutic Drug Monitoring in Oncology: International Association of Therapeutic Drug Monitoring and Clinical Toxicology Recommendations for 5-Fluorouracil Therapy. Clin Pharmacol Ther 2019; 105(3):598-613.
[6] Lemaitre F et al. [5-fluorouracil therapeutic drug monitoring: Update and recommendations of the STP-PT group of the SFPT and the GPCO-Unicancer] [Article in French]. Bull Cancer 2018; 105(9): 790-803.